Chanson de Charles Vincent

Admirons !

Air : Les deux sœurs de charité, de Bretagne.

 

O nature !

- Fleurs, fruits et culture -

En toi tout ce qui vient germer

Tu sais l’accueillir et l’aimer.

 

Mes bons amis, faisons comme elle :

Accueillons les talents nouveaux

Sans établir de parallèle,

Ils ont tous droit à nos bravos.

Songeons qu’une critique acerbe,

Lorsqu’un mot l’eût pu soutenir,

A fait parfois mourir en herbe

Le grain dont vivrait l’avenir.

 

O nature !

- Fleurs, fruits et culture -

En toi tout ce qui vient germer

Tu sais l’accueillir et l’aimer.

 

Toujours vouloir que l’on compare

Ecraser le bien sous le mieux,

 C’est ainsi que l’esprit s’égare,

Que l’envie obscurcit le rose ;

Prés du rouge éclate le blanc :

Dieu n’a-t-il pas en toute chose

Mis son regard étincelant ?

 

O nature !

- Fleurs, fruits et culture -

En toi tout ce qui vient germer

Tu sais l’accueillir et l’aimer.

 

Dans l’antiquité, si fertile

Qu’elle encore notre fanal,

On admire Homère et Virgile,

 Anacréon et Juvénal.

Du doux Tibulle au sombre Dante,

Du grand Corneille au fin Gresset,

Applaudissons ! Mais que l’on chante

Chénier, Larmartine et Musset !

 

O nature !

- Fleurs, fruits et culture -

En toi tout ce qui vient germer

Tu sais l’accueillir et l’aimer.

 

Dans l’art vivant de la peinture,

Recherchons sous chaque pinceau

Les vrais amants de la nature :

Claude, Ruysdaël, Troyon, Rousseau.

D’un Delacroix la fougue extrême,

D’Ingre la sobre pureté,

Nous prouvent bien qu’il faut qu’on aime

L’art dans chaque variété.

 

O nature !

- Fleurs, fruits et culture -

En toi tout ce qui vient germer

Tu sais l’accueillir et l’aimer.

 

Le divin Mozart nous emfflamme,

Sans nous empêcher d’admirer

Clück, dont l’accent éléve l’âme

Que Donizzetti fait pleurer,

David a la grâce française ;

L’esprit pétille chez Auber ;

Unissons dans une synthèse

Hérold, Rossini, Meyerbeer !

 

O nature !

- Fleurs, fruits et culture -

En toi tout ce qui vient germer

Tu sais l’accueillir et l’aimer.

 

Béranger a la grande lyre,

Il est satirique et profond 

Désaugniers a le joyeux rire ;

La nature vibre en Dupont.

Aimons tous les talents sincères ;

Le fin Collé, le franc Panard

Accueillaient, en choquant leurs verres,

Crébillon et Gentil-Bernard.

 

O nature !

- Fleurs, fruits et culture -

En toi tout ce qui vient germer

Tu sais l’accueillir et l’aimer.

 

Pour faire un cortège au géni

Acclamons les talents au génie ;

Il faut de tout pour l’harmonie :

Petites chansons et grands vers.

Près du rossignol la linotte

Module un doux chant fraternel :

Que chacun pousse donc sa note

Dans le concert universel !

 

O nature !

- Fleurs, fruits et culture -

En toi tout ce qui vient germer

Tu sais l’accueillir et l’aimer.

 

 

 

L’avenir est républicain *

             (Avril 1877)

Air : les aiguilles et les jeunes filles

 

* Il y a dans cette chanson des allusions et des politiques qui doivent  être  encore dans la mémoire de tous.

 

Quand on a lu le manifeste

Qui nous arrive de Gorizt,

On doit oublier le reste,

Quatre-vingt-neuf comme Austerlitz.

Mon cœur de joie enfin s’épanche 

Car je vais sur mon baldaquin

Poser une cocarde blanche…

Je ne suis pas républicain.

 

Spéculant sur notre faiblesse,

Ce gouvernement saugrenu

Rêve d’abolir la noblesse

Et d’implorer le revenu.

Quoi ! je verrais ma seigneurie

Sujette aux lois comme un faquin ?

Palsambleu ! qu’elle effronterie !…

Je ne suis pas républicain.

 

Heureusement la chambre basse

Ne peut seule faire une loi ;

Le sénat juge, amende, efface,

Puis en ordonne le renvoie.

Entre nous je ris à me tordre,

En voyant ce sénat taquin

De l’ordre faire du désordre…

Je ne suis pas républicain.

 

Leur droit, qu’ils disent sans réplique,

Vient d’où ? du vote universel.

Le droit divin, le mot l’explique,

Part de plus haut, tombant du ciel.

Pour gouverner, qu’elle impudence !

Consulter le dernier pékin !

J’aime trop mon indépendance…

Je ne suis pas républicain

 

Reviens donc, mon seigneur et maître,

Ton drapeau n’est pas un linceul ;

On dit, qu’en te voyant paraître

La chassepot partirait seul.

Il partirait pour ta victoire ;

Car, plus superbe que Tarquin,

Tu n’as rien fait… et c’est ta gloire…

Je ne suis pas républicain.

 

Allons, qu’on prépare une fête !

Que nos sujets soient jubilants !

Depuis trop longtemps elle est prête,

La voiture aux panaches blancs.

Voilà quatre ans que je fredonn

D’or et de lys ton palanquin !

Cher Henri, reprends ta couronne !…

Je ne suis pas républicain.

 

Au passé l’homme se rattache

Vainement par croyance ou peur ;

Laissons regretter la patache

Et servons-nous de la vapeur !

Regretter n’est pas ridicule

Garder sa foi n’est pas mesquin ;

Mais plaignons celui qui recule :

Je ne suis pas républicain.

 

 

 

Mon manifeste *

 (Janvier 1878)

Air de la femme à Barbe

 

* Deuxième couplet – Allusion aux deux messages

du Président de la République de cette époque.

 

Messieurs, je suis républicain,

Cela ne surprendra personne ;

Vous ne craignez donc d’un Turquin

Ni le glaive, ni la couronne.

Mais, sachant que l’on peut avoir

L’esprit de vertige au pouvoir

Et qu’en devenant chauve on aime

A se coiffer d’un diadème,

 

Je jure ici que mon orgueil

A pour limite ce fauteuil.

Je m’y pose, simple et modeste,

Prenant ces mots pour manifeste :

Pour un an j’y suis, et j’y reste !

 

En janvier, votre président

Doit vous apporter un message.

Moi, j’en ai deux, c’est plus prudent ;

La prudence est le lot du sage.

Dans le premier, avec fierté,

Je soutiens mon autorité ;

Au second je suis démocrate ;

Vous le prendrez si l’autre rate.

 

Quoi qu’il en soi, tout mon orgueil

 A pour limite ce fauteuil ;

Je m’y pose, simple et modeste,

Prenant ces mots pour manifeste :

Pour un an j’y suis, et j’y reste !

 

Mieux vaut revenir, je le crois,

Au régime parlementaire,

Puisqu’il nous donne tous les droits,

Excepté celui de nous taire.

Car tous les mois les orateurs

Doivent apparaître en chanteurs.

Je veux dire : Il faut que tous chantent,

Et non pas que tous nous enchantent.

 

Moi-même, ayant bon pied, bon œil,

Emplissant ce large fauteuil,

Plus d’une fois, c’est manifeste,

Quand j’appelle ma voix céleste,

L’ingrate dans mon gosier reste !

 

Chantant bien ou mal, mon seul vœu,

C’est que, libres, tous puissent dire,

Même en se taquinant un peu,

Le mot qui fait rire ou sourire

Qu’importe que Duvelloy

Avec l’i grec chante son roy,

Si moi, son filleul, je réplique

En acclamant la République.

 

Chacun sa joie et son orgueil,

Et c’est pourquoi, de ce fauteuil,

Je dit : République modeste,

Qu’on t’accueille ou que l’on proteste,

Sois douce, aimable, et surtout… reste !