Almanach des muses 1797

Hymne à la beauté

Fragment d’un poème sur l’imagination

Toi que l'antiquité fit éclore des ondes,

Qui descendis du ciel, et règnes sur les mondes :

Toi qu'après la beauté, l'homme chérit le mieux ;

Toi qui naquis un jour du sourire des dieux,

Beauté ! Je te salue. Hélas ! D’épais nuages

A mes yeux presque éteints dérobent tes ouvrages.

Voilà que te printemps reverdit les coteaux

Des chaînes de l’hiver dégage les ruisseaux,
Rend leur feuillage aux bois, ses rayons à l'aurore

Tout renaît : Pour moi seul ; Rien ne renaît encore ;

Et mes yeux, à travers de confuses vapeurs

Ont à peine entrevu ces tableaux enchanteurs.

Plus aveugle que moi Milton fut moins à plaindre ;

Ne pouvant plus te voir, il sut au moins te peindre ;

Et lorsque par leurs chants préparant ses transports,

Ses filles avaient fait entendre leurs accords

Aussitôt des objets les images pressées

En foule s'éveillaient dans ses vastes pensées :

Il chantait ! Et tes dons, tes chefs d'oeuvre divers,

Éclipsés à ses yeux, revivaient dans ses vers.

Hélas ! Je ne puis pas égaler son hommage :

Mais dans mes souvenirs j'aime encor ton image.

Source de volupté, de délices, d'attraits ;

Sur trois règnes divers tu répands tes bienfaits.

Tantôt, loin de nos yeux, dans les flancs de la terre,

En rubis enflammés tu transformes la pierre ;

Tu donnes en secret leurs couleurs aux métaux,

Au diamant ses feux, et leur lustre aux cristaux.

Au sein d'Antiparos tu filtres goutte à goutte 

Tous ces glaçons d'albâtre, ornement de sa voûte,

Édifice brillant qui, dans ce noir séjour,

Attend que son éclat brille à l'éclat du jour.

Tantôt nous étalant ta pompe éblouissante,

Pour colorer l'arbuste, et la fleur, et la plante,

D'or, de pourpre et d’azur, tu trempes tes pinceaux.

C'est toi qui dessinas ces jeunes arbrisseaux,

Ces élégants tilleuls et ces platanes sombres,

Qu'habitent la fraîcheur, le silence et les ombres.

Dans le monde animé, qui ne sent tes faveurs !

L'insecte, dans la fange, est fier de ses couleurs

Ta main du paon superbe étoila le plumage ;

D'un souffle, tu créas le papillon volage.

Toi-même, au tigre horrible, au lion indompté

Donnas leur menaçante et sombre majesté.

Tu départis aux cerfs la souplesse et la grave.

Tu te plus à parer ce coursier plein d'audace,

Qui, relevant sa tête et cadençant ses pas,

Vole et cherche les prés, l'amour et les combats.

A l'aigle, au moucheron, tu donnas leur parure

Mais tu traitas en roi le roi de la nature.

L'homme seul eut de toi ce front majestueux,

Ce regard tendre et fier, noble, voluptueux.

De sourire et des pleurs l’intéressant langage,

Et sa compagne enfin fut ton plus bel ouvrage.

Pour elle, tu choisis les trésors les plus doux,

Cette aimable pudeur qui les embellit tons,

Tout ce qui porte an coeur, d'attendrit et l'enflamme ;

Et les grâces du corps, et la douceur de l’âme.

L'homme seul contemplait ces globes radieux :

Sa compagne parut ; Elle éclipsa les cieux.

Toi-même t'applaudis en la voyant éclore ;

Dans le reste on t'admire, et dans elle on t'adore.

Que dis-je ? Cet éclat, des formes, des couleurs,

O Beauté ! Ne sont pas tes plus nobles faveurs.

Non, ton chef-d'oeuvre auguste est une âme sublime;

C'est l'Hôpital si pur dans le règne du crime ;

C'est Molé, d’un coup oeil de l'homme vertueux,

Calmant d'un peuple ému les flots impétueux ;

C'est Bayard, dans les bras d'une mère plaintive,

Sans tache et sans rançon remettant sa captive ;

C'est Crillon, c'est Sully, c'est toi, divin Caton,

Tenant entre les mains un poignard et Platon,

Parlant, et combattant, et mourant en grand homme,

Et seul resté debout sur les débris de Rome.

Par le C. Delille

 

 



Vue du printemps

L'hiver n'afflige plus nos champs ;

Dans les cavernes de l'Islande

Il va cacher ses cheveux blancs.

Armé de traits étincelants

Phébus parait, Phébus commande,

Regarde, et disperse la bande

Des Aquilons et des Autans.

La neige, du haut des montagnes,

Roule, se fond Mille ruisseaux,

À travers les vertes campagnes,

Promènent le bruit de leurs eaux.

Le voile qui couvrait la terre,

Par les feux du jour consumé,

Laisse voir la pointe légère

Du gazon déjà ranimé.

 

Quittant la cabane fumeuse,

Le villageois sur ses guérets

Porte un regard, suit les progrès

De la plante encore frileuse ;

Adresse des voeux à Cérès ;

Et, sur sa promesse flatteuse,

Fonde eu souriant ses projets.

 

Daphnis appelle sa maîtresse

Et, d'un doigt malin et discret,

Lui montre au loin l'heureux bosquet

Où se signala sa tendresse,

Et qui, comblant encor ses voeux,

De la feuille qui vient de naître              
S'enveloppe, et demain peut-être

Les enveloppera tous deux.

 

Bois, revêtez votre parure ;

Jardins, émaillez-vous de fleurs ;

Souris-nous, aimable verdure ;

Nuits, humectez-la de vos pleurs.

Et vous sur tout, roses charmantes,

Brisez vos langes importuns,

Et de vos corolles brillantes

Exhalez les plus doux parfums.

Des tilleuls le pâle feuillage

Frémit sous l'aile des zéphyrs,

Et le printemps sous leur ombrage

Rappelle déjà les plaisirs.

A sa voix, quittant la Bruyère,

L'oiseau s'élève, s'enhardit ;

Et sur la branche hospitalière,

Des brins d'une mousse légère

Forme le tissu de son nid.

Heureux si le vautour avide,

Si l'enfant plus cruel encor,

Animé d'un dessein perfide,

N'a pas épié son essor !

 

Jeunes époux, amans fidèles,

Ah ! Volez ; préservez les jours

De ces chantres de vos tonnelles ;

Vous jouirez de leurs amours,

En les prenant pour vos modèles.

Fatigués des plaisirs bruyants

Que l'hiver fixe dans vos villes,

Revenez avec le printemps

Chercher sous vos berceaux naissain,

Des jouissances plus tranquilles.

 

L'appareil, l'éclat de ces jeux

Que le luxe enfante et varie ;

Ces prodiges que multiplie

Des arts le concours fastueux ;

Ces tissus où de la nature.

L'aiguille a reproduit les traits ;

Ce lin, ces murs que là peinture

Transforme en jardins, en bosquets ;

Ces porcelaines façonnées

De Sève étalant les couleurs ;

Ces tiges, ces gerbes de fleurs

Sous le cristal emprisonné,

Ne nous consolent un moment

Des bienfaits passagers de Flore,

Qu'en nourrissant l’espoir charmant

De la voir nous sourire encore.

Eh bien ! Cet espoir est comblé.

De leur reine courriers fidèles,

 

Vers les anémones nouvelles

Mille papillons ont volé.

Déjà confondus avec elles,

Je les cherche, et l'essaim troublé

Semble aux fleurs emprunter des ailes.

Que dis-je ? Objet délicieux !

C'est lui ; c'est Zéphyr amoureux

Descendu sur nos plates-bandes,

Et qui, revolant dans les cieux

Chargé de ses douces offrandes,

Laisse voltiger les guirlandes

Que Flore mêle à ses cheveux.

 

Que d'éclat ! Combien de nuances

Teignent la robe du printemps !

Vos jardins, vos vergers, vos champs,

Tout est fleurs. Ces tapis immenses

Destinés aux jeux du hameau ;

Cette pelouse étincelante,

Ces prés, où la brebis bêlante

Voit déjà bondir son agneau ;

Tout s'anime, tout se colore.

La paquette ouvre ses rayons,

Blanchit la terre ; Et nous croyons

Voir l'hiver aux noces de Flore.

 

Ici l'obier, en prolongeant       -

De ses rameaux le jet superbe,

Balance ses boules d'argent.

  Déployant au sein de l'herbe

La douce teinte du saphir

D'un faible incarnat animée,

La violette parfumée

Semble ne vouloir an zéphyr

Confier que sa renommée.

 

Tandis que les vives couleurs

De la tulipe diaprée

Fixent l'oeil de ses amateurs,

Quelles gracieuses odeurs

Pénètrent mon âme enivrée ?

C'est toi, modeste réséda.

Tant d'éclat n'est point ton partage ;

Mais la nature t'accorda

Un plus précieux avantage :

On t'aime. Eh ! Que me fait à moi

Qu'un vif incarnat te décore,

Si déjà je jouis de toi,

Quand mes voeux te cherchent encore ?

La renoncule étale en vain

Snr toi le velours de sa feuille ;

Qu'elle soit l'honneur du jardin :

Mes doigts l'écartent je te cueille ;

Et la beauté t'ouvre son sein.

 

Quelle variété charmante !

Quel peintre assez audacieux

Pour tracer le front gracieux

Que la nature vous présente

Là, montent cent gerbes d'azur ;

Auteur inconnu