Almanach des muses 1796

Les fêtes du génie

Dithyrambe

Première journée

L'ami de la gloire a sonné;

Il faut de nouveaux chants à mon nouveau délire. Reprends, Anacréon, ton luth efféminé.

Viens, Pindare ; remplis mon cœur désordonné ; Dans mes avides mains réveille encor ta lyre.

 

La Liberté, dans nos remparts,

Sourit aux fils de Polymnie,

Et par la fête du Génie

Consacre la ville des Arts.

 

Oui, de la Liberté le Génie est le guide :

C'est lui qui, l'éclairant dans sa course intrépide,

Lui remit ce contrat, monument de nos droits :

C'est lui qui, nous prêtant sa secourable égide,

  Contre la révolte des rois,

Attache à nos drapeaux la victoire rapide ;

 

Et quand de nos héros recueillant les lauriers,

La gloire ouvre la tombe à leurs mâtes guerriers,

C'est lui dont la voix attendrie

Commandant d'utiles honneurs,

Par des tributs consolateurs

Charme le deuil de la Patrie.

 

Génie ! Âme de tout, quel est ton ascendant !

L'univers agrandi s'instruit par tes conquêtes ;

L homme eût courbé, sans toi, son front indépendant ;

Tu prolonges ses jours, tu revis dans ses fêtes.

Tu conduis ces soleils qui roulent sur nos tètes :

Ton sceptre de Neptune asservit le trident :

Tu gouvernes la foudre et régis les tempêtes.

Quel peuple a méconnu ton pouvoir souverain ?

Le commerce par toi fertilise les ondes ;

L'avenir s'enrichit de tes sources fécondes :

Tes pas, sur le marbre et l'airain

Impriment des traces profondes ;

Et le trait échappé de ta puissante main,

Yole au-delà des terne et traverse les mondes,

 

L'essaim folâtre des Beaux-Arts

T'apporte, en dansant, ses offrandes ;

Ils te parent de leurs guirlandes,

Et s'enflamment de tes regards.

 

Par le ciseau de Praxitèle

Toi seul fais descendre les dieux ;

Toi seul, par le pinceau d'Apelle,

Nous a transportées dans les cieux.

 

Des chants belliqueux de Tyrtée,

Tu nourris encor la valeur ;

Et dans les mains de Timothée

Ton luth triomphe du vainqueur.

 

Sous tes lois, le dieu de la guerre

Range ses bataillons armés ;

Et de ses bronzes enflammés,

Ta voix dirige le tonnerre.

 

La Paix, doux lien des mortels,

Te doit les trésors de nos villes ;

Et des moissons les plus fertiles,

Cybèle enrichit tes autels.

 

La Gloire, au vol infatigable,

Te suit avec la Liberté,

Et dans ta coupe inépuisable

S'abreuve d'immortalité.

 

La Gloire nous invite air temple du Génie;

Courons... Ah ! Je succombe à mes transports nouveaux.

Guide mes pas, ô Polymnie !

Où le trouver ?...Quels lieux sont chers à ses travaux ?

Quel asile entretient son sublime délite ?

Aux jardins de Glycèle a-t-il monté sa lyre ?

Dans le fracas des cours saisit-il ses pinceaux ?

Qu'ai-je dit ? Ô blasphème ! Est-ce au séjour du vice

Qu’il prit ce noble essor que l'on doit aux vertus ?

Quel éclat ont pour lui tous les dons de Plutus,

Quand l'immortalité l'appelle dans la lice ?

 

Jamais à la fortune a-t-il vendu sa voix ?

Qui l'a vu des grandeurs caresser l'insolence !

  Et n'est-il pas lui-même une puissance

Qui domine en tout temps la puissance des rois ?

Ou prit-il ces grands traits ? C’est dans la solitude

Là, veille auprès de lui l'opiniâtre étude.

Sur la cime des monts l'aube a vu son lever,

Et l'aube à son retour le voit encor rêver.

De la création héritier légitime,

C'est là qu'il a placé son atelier sublime.

Là, s'armant pour l’Humanité,

Et triomphant de l'imposture

Il siège avec la vérité ;

Il commerce avec la nature.

Noble émanation de la divinité,

Là, comme elle, il se fonde un empire immuable,

Et craint peu que l'envie et la haine implacable

Lui ravissent la place où son vol l'a porté.

 

Mais quel monstre, quelle furie

S'oppose à ses nobles travaux ?

De ses glaives, de ses flambeaux,

Vient-il assiéger la Patrie ?...

Sous ses funèbres étendards,

Marche l'infâme calomnie ;

Pleurez, favoris des Beaux-Arts

Pleurez, élèves d'Uranie !

Sous le nom de l'Égalité,

Il vient disputer au Génie

L'empire de la Liberté.

 

Peux-tu, Nymphe auguste et divine,

Prêter ton nom à ces forfaits ?

Sous tes yeux, au sein de la paix,

Des arts il hâte la ruine.

Vois leurs chefs-d'œuvre altérés,

Tomber sous ses mains criminelles ;

Vois leurs bronzes défigurés ;

Vois la flamme, aux rapides ailes,

De leurs archives immortelles

Menacer les dépôts sacrés.

 

Non, non, tu n’es point la complice

De son triomphe passager ;

Déjà, par son juste supplice,

Le génie a su te venger.

Sous le voile qui le déguise,

Héritier des traits d’Apollon,

Sur les bords d’un autre Céphise,

Il frappe ce nouveau Python ;

Dans la tombe du fanatisme

Il replonge le vandalisme ;

C’en est fait ! Les arts sont souri ;

Et par ce coup sauvant la France,

Du dernier fils de l’ignorance,

Il étouffe le dernier cri.

Par le C. TH. Désorgues

 

 


 

Le prédicateur embarrassé

Du grand Saint Luc un bon prêtre devait

Faite l'éloge et le panégyrique.

Il monte en chaire, et chacun attendait

De son savoir une preuve authentique.   .
Notre Orateur commence, un peu confus,

Et d'abord fait une courte prière ;

Ensuite il dit son texte à l'ordinaire ;

C'est : Salutat vos Lucas Medicus.

Mais par malheur le reste de l'éloge

De sa mémoire au sème instant déloge ;

Il a beau faire, il ne s'en souvient plus.

Deux ou trois fois son texte il recommence.

Lors un rieur, dont ce maudit retard

Depuis longtemps lasse la patience,

Se lève et crie : Un peu de complaisance !

Puisque pour nous le Saint a tant d'égard

Allez, mon père, en grande diligence,

Le saluer aussi de notre part.

Par le C. Le Mazurire  

 

 



La guerre 1777

Quels sourds gémissements sélèvent des vallons ?

Quels tris sont répétés par la voix des montagnes ?

La vengeance et la mort planent sur les campagnes

Une moisson de fer hérisse nos sillons.

Fuyez, innocentes bergères !

Voyez de tous côtés ces escadrons épars,

S'ébranler, déployer leurs sanglants étendards

Et s'élancer vers vos chaumières.

Semblable au Caucase orgueilleux,

Mars a levé sa tête redoutable :

Son front est menaçant ; Le meurtre infatigable

Semble respirer dans ses yeux.

Il vient, lance un regard ; Et les hameaux s'embrasent,

Et le feu dans l'épi court dévorer le grain.

Il marche, et ses talons d'airain

Font rejaillir le sang des guerriers qu'ils écrasent.

La Discorde accourt à ses cris.

Furieuse, elle agite une torche enflammée ;

Et de l'affreuse ardeur dont elle est consumée,

Déjà tous les coeurs sont épris.

L'un à l'autre opposé les bataillons s’étendent,

Et mesurent de l’oeil leur immense tombeau.

Tambours, battez ! Que sous chaque drapeau,

Les plus vaillants rangés meurent ou le défendent !


Mais quel est ce jeune guerrier ?

Un casque étincelant couvre son front superbe,

D’un pied tumultueux, son rebelle soulier

Autour de lui fait voler l'herbe.

Il écume ; Il bondit. Le signal du combat

Semble tarder à son humeur altière.

Il souffle, et soulevant les flots de sa crinière,

Contre le frein qu'il ronge en vain il se débat.

O toi ! Qui de l'amour as méprisé les charmes ; (1)

Toi qui t’égarant dans tes voeux,

Fatigué du repos as cessé d'être heureux,

Et poursuis des honneurs à travers tant d'alarmes

Ingrat amant, barbare ami,

Si l'enfer déchaîné n'a rien que tu redoutes,

Contre les larmes que tu coûtes

Ton coeur également est-il bien affermi ?

Et toi, qui l'enlevas aux filles de mémoire,

Dieu des combats, daigne épargner ses jours.

Conserve leur Poète aux grâces, aux Amours,

Et ménage un chantre à ta gloire.

 

Mais déjà le bruit des clairons,

Les tymbales et les trompettes

Précipitent vingt escadrons

Sur des milliers de baïonnettes.

 

(1) Ce morceau faisant partie d'un Recueil d'Élé­gies, quelques-unes de celles qui l'y précèdent an­noncent l'objet et le motif de cette apostrophe.


Le fer tranchant frappe le fer

La foudre part d'une étincelle,

Et du canon qui le recèle

Ce plomb chassé sifflé et fend l’air

L'lointain s’embrase Un feu rapide.

Court sur le front des bataillons.

La fumée en noirs tourbillons.

S’élève. Un nuage perfide

Dérobe aux yeux du combattant   

Le carnage qui l’environne
Il cherche et, même en l'affrontant,

Ne voit plus le bronze qui tonne  

La mort parte de rang en rang

Le désespoir et l'épouvante.

Elle frappe, des flots de sang

Coulent sur la terre glissante.

Le coursier s'abat ; Le guerrier

Tombe au milieu de sa carrière,

Se relève, ose défié

Les efforts d’une armée entière,

Et de la balle meurtrière.

Atteint sous sou frêle cimier,

Il retombe sur la poussière.          

 

O combien de héros se livrent à l'espoir

De la plus haute destinée

Qui trompés dans leurs voeux, ne verront pas le soir

De cette funeste journée !

Quel tableau ! Quels désastres offrent à mes regards

De l'orgueil offensa les excès homicides !


Et qu'enfin dételant le char de la victoire,

Auprès de la beauté nos héros de retour,

De leurs exploits nouveaux confiant la mémoire

A l'ivoire du peintre, aux Chants du troubadour,
Ornent, au sein des ris, l'écharpe de la gloire

Des légers rubans de l'amour.

Par le C. Duault