Almanach des muses 1785

Bagatelle
Si vous voulez vous promener
Dans ce bois, charmante Isabelle,
Nous pourrions, sans nous détourner,
Aller jusques à Bagatelle.
 
Partons ; donnez-moi votre bras ;
La cinquième heure nous appelle :
En cheminant à petit pas,
Nous parlerons de Bagatelle.
 
Ah si j’osais vous embrasser !
Et si vous étiez moins cruelle !
Mais n’allez pas vous courroucer
A la porte de Bagatelle.
 
Quand on vous verrait sans manteau,
Dans ce taillis qui nous recèle,
Le cas ne ferait pas nouveau,
Devant aller à Bagatelle.
 
Séchez vos pleurs, point de courroux
Contre un amant tendre et fidèle ;
Ou plutôt raccommodons-nous
En approchant de Bagatelle.
 
Mais, sous l’ombrage, avec Mysis,
Je vois notre voisine Adéle.
Vraiment l’on n’est dans tout Paris
Occupé que de Bagatelle.
 
Venez, avançons hardiment
Dans la route ancienne, ou  nouvelle
Un aveugle très aisement
Peut arriver à Bagatelle.
 
Examinez ce vieux donjon,
Bâti par un roi, que sa belle
Jadis fit repentir, dit-on,
D’avoir trop aimé Bagatelle.
 
Le portier est rude et fâcheux ;
Je crains son humeur et son zèle.
Une femme conviendrait mieux
A la garde de Bagatelle.
 
Il vous observe en souriant.
Hélas ! qui peut-être rebelle
 A deux beaux jeux, sollicitant
Pour que l’on ouvre Bagatelle.
 
Dans l’hermitage asseyons-nous.
Heureux, en ornant sa chapelle,
Celui qui pourrait avec vous
Se faire ermite à Bagatelle !
 
Regarder ces dieux, ces Sylvains,
Dont la vigueur est éternelle :
Ils semblent narguer les humains,
Forcés de quitter Bagatelle.
 
Ces eaux, ces grottes, ce palais,
Où le maître souvent appelle
Le heureux que son cœur a faits ;
Tout vous attache à Bagatelle.
 
Mais il faut partir, la nuit vient ;
Soyez raisonnable, ma belle.
On ne peut, vous le savez bien,
Être toujours à Bagatelle.
 
Promettez-moi de m’avertir
Toute les fois, chère Isabelle,
Que vous aurez quelque désir
De faire un tour à Bagatelle.
Par M. Daillant de la Touche
 

 
 
Élégie
Plus ne verrai,
C’est pour la vie,
Plus n’entendrai
Ma douce amie ;
Plus ne vivrai.
Tant doux bocage,
Qu’elle enchantait ;
Joli rivage,
Où son image
Se répétait ;
Oiseaux volages
Qu’elle appelait ;
Tendres herbages
Qu’elle foulait ;
Écho sauvage,
Qui murmurais
Son doux langage ;
Gentil feuillage,
Qui la couvrait
De ton ombrage :
Plus ne verrez,
C’est pour la vie ;
Plus n’entendrez
Ma douce amie :
Vous périrez,
Adieu, Zéphire !
Bientôt la mort
Va me conduire
Au sombre bord,
Qui je désire.
Chêne orgueilleux,
Roi du bocage,
Dont le feuillage
Couvrait nos yeux ;
Abri tranquille,
Qui, tous les jours,
A nos amours
Servais d’asile ;
Vaste berceau,
Retraite sombre,
Prêtez votre ombre
A mon tombeau.
Plus de la vie,plus ne verrai,
Plus n’entendrai
Ma douce amie…
Plus ne vivrai.
Par M. hoffman