Almanach des muses 1784

Sur la navigation aérienne.
Les Anglais, nation trop fière,
s’arrogent l’empire des mers :
les Français, nation légère,
s’empare celui des airs.
Anonyme.
 
 
 

Épître a mon médecin.
Une Reine à sa, Cour eut jadis son malades :
je fus aussi le tien ; mais ce titre d'honneur,
grâce à ton art, ne fut pour moi qu'une panade ;
Scarron n'eut pas tant de bonheur,
Depuis qu'un fort jaloux me relégué en province,
combien j'ai regretté tes secours & tes soins
tu m'avais traité comme un Prince,
& je n'en réchappai pas moins.
De retour au hameau, je fus malade encore.
La Parque avoir beau jeu loin des lieux où tu vis,
C'étais dans 1a saison de Zéphire & de Flore,
que pouvais-tu faire à Paris ?
D’une héroïne de coulisses
rajeunissais-tu les appas ?
guérissais-tu quelques jaunisses,
quelque bobo qu'on n'avait pas ?
Penché sur le chevet d'une blonde mourante ;
y faisais-tu des contes bleus ?
pressais-tu le pouls vigoureux
de quelque brunette piquante ?
Non, tu rendais en ce moment
L’épouse à son époux, l'amante à son amant,
tu quittais sans regret la vaporeuse Hortense,
ses grands tons, son air engageant,
pour chercher l'humble toit du timide indigent
qui ne peut payer ta science.
A la voix de l’humanité,
vers un triste grabat, qui se soutient à peine
tes coursiers, à perte d’haleine,
traînaient le chat et la santé.
Et moi, je languissais dans un séjour champêtre ;
entouré de docteurs, je regrettais le mien ;
tout irritait mes maux : pouvait-t-on les connaître ?
moi-même en les souffrants, je n’y connaissais rien,
je ne fus guéri par la nature,
ce premier médecin du roi,
qui doit au but marche sans conjecture,
& ne dit son secret qu’à toi.
Par M. de la Louptiere.
 
 

 
Les prodiges des sciences et des arts.
Prêter un corps, une âme à l'insensible toile,
percer la nuit du temps, en déchirer le voile,
déchiffrer d'un œil sûr tout son livre effacé,
prédire l’avenir, & savoir le passé ;
avec l'aimant fidèle au pôle qui l'attire,
se frayer un chemin sur le liquide empire ;
du trépas dans un tube entasser les carreaux,
& du bout de l'index renversé des Héros ;
se créer à la ville un asile champêtre ;
fabriquer un soleil de soufre & de salpêtre ;
vrai rival du flambeau qui brille au haut des cieux !
disséquer des couleurs, les membres radieux ;
sur un fable mouvant jeter un arc solide ;
se filer en habits l'or de la Chrysalide ;
liquéfier la pierre & le plus dur métal ;
créer avec un souffle un monde de cristal ;
faire éclore & mûrir la pêche transplantée
sur la tige ou croissait l'amande veloutée ;
transporter l'eau dans l'air & le feu dans les eaux ;
enseigner une langue à de muets roseaux ;
par des vibrations, ou rapides ou lentes,
faire parler un luth sous ses cordes tremblantes
des sciences, des arts, tels sont les nobles fruits ;
ces merveilleux effets, l'homme les a produits.
Dans son immense vol, est-il rien qu'il n'embrasse ?
Il enchaîne le temps, il dévore espace,
dirige le tonnerre, emprisonne les vents,
soumet l'infini même à ses calculs savants,
& roi des animaux, veut l'être encor du monde
Après avoir dompté le feu, la terre & l'onde,
il ne lui restait plus qu'à s'élever dans l'air
jusqu’au foyer humide où se forme l'éclair,
qu'à transférer son trône au milieu des orages,
& de l'aigle rival, planer sur les nuages.
Montgolfier a paru, l'ouvrage est consommé,
sur un globe fragile en vaisseau transformé,
l'homme va parcourir les plaines azurées,
de son étroit domaine agrandir les contrées,
& dans l'onde céleste, heureux navigateur,
côtoyer chaque pôle & franchir l'équateur.
Par M. le chevalier de C***.
 

 
 
Le siècle.
Fronder à propos les usages,
ne longer qu'à son intérêt,
avoir deux langues, deux visages,
rire ou s'affliger à souhait,
promettre sans aucun scrupule,
tenir selon l'occasion,
d'ami prodiguer le vain nom.
& traiter comme un ridicule
la probité, hors de saison
telle est la science profonde
dans l'heureux siècle où nous vivons ;
aussi ne voit-on dans le monde,
que des dupes & des fripons.
Par M. Vigée.