Almanach des muses 1777

Le français et le siamois
(Conte oriental)
O vous qu’on nomme avec raison,
La plus belle moitié du monde,
Que fut cette machine ronde
Votre fort est divers ! Au fonds d’une prison,
Vous voyez chez le Turc couler votre jeunesse ;
L’homme du nord vous bat, et lassé de mollesse,
Le siamois ne rougit pas
D’asservir vos corps délicats,
Aux rigueurs des travaux champêtres,
Le français seul à la beauté,
Rend hommage mérité.
Ce n’est point à l’esclave à commander ses maîtres.
Chez lui, vous n’allez point, avec l’aube du jour,
Sur un terrein ingrat, promener la charrue ;
De tout votre pouvoir connaissant l’étendue,
Il remet en vos mains le sceptre de l’amour.
Dans cette sauvage contrée,
Où le sexe est si mal traité,
Un Français par les vents jetés,
Avec une épouse adorée,
Depuis longtemps vivait dans la félicité.
Dés que le dieu du jour ramenait la lumière ;
L’époux, à sa moitié si chère,
Ne donnait pas l’ordre inhumain
D’aller remplir aux champs sa tâche coutumière ;
Il s’en allait lui-même, une herbe à la main,
Briser le sol, couvrir le grain,
Et sur le soir, dans son humble chaumière.
Il revenait, content de son déclin,
De ses travaux recevoir la salaire.
On ne lui voyait pas des ongles (1) noir et longs :
Il les coupait souvent, aussi bien que la femme ;
Enfin le couple heureux semble n’avoir qu’une âme :
Chez lui tout est commun, table, lit et ballons (2).
L’époux pour son épouse est plein de différence ;
Ils font environnés de la paix et des ris,
Et l’on voit bien à leur intelligence,
Qu’ils ne vivaient point à Paris.
Ils reçoivent, un jour, l’honorable visite
De leur voisin, c’était un siamois
Qui, du pays, observait bien les lois
Et vivait en vrai Sybarite.
Il trouve le Français arrosant de sa main
Une fleur fraîchement éclose ;
S’était un bel oeillet, un rival de la rose,
Qui faisait l’ornement de son petit jardin.
- Qui vous fait de la forte, ô mon pauvre voisin,
Travailler à perdre l’haleine ?
Cet emploi vous fatigue, il est, je crois, mal faim,
Et c’est à votre femme à pendre cette peine :
Ne saurez-vous jamais vous en faite obéir ?
N’apprendrez-vous jamais nos sublimes usages ?
La femme est faite pour servir :
Ainsi l’on décidé la raison et nos sages.
À ce discours impertinent,
Le Français ne dit mot, mais soudain il arrache
La fleur qu’il arrosait. – Quelle fureur vous prend ?
Un dieu, (3) sous cette fleur, est peut-être vivant ;
Pourquoi l’arrachez-vous ? il faut que je le sache.
- Apprenez que je vais la porter, de ce pas,
Sur ce mont dont le faîte est près de l’empirée.
- Sur ce mont ! vous n’y pensez pas !
Exposée aux chaleurs, à la pluie, aux frimas,
Vous le verrez bientôt pâle, décolorée,
Se flétrit sur sa tige et perdre ses appas.
- Fort bien. Mais votre femme aussi fraîche, aussi belle,
que la fleur dont le fort parait vous affliger,
ne l’exposez-vous pas, sans rien craindre pour elle,
tous les jours eu même danger ?
le malheur d’un œillet devrait-il de votre âme
Altérer la tranquillité ?
Je vous admire, en vérité !
Une fleur vaut-elle une femme ?
Le siamois, quoiqu’il n’eut point d’esprit,
A cette leçon fut sensible.
- Vos avis sont fort bons : mais il est possible
Qu’il fassent rien pour mon profit ;
Ils arrivent trop tard. Une longue paresse
N’est guères facile à dompter.
Sur les carreaux de la mollesse,
Mes jarrets ont perdu leur force et leur souplesse :
A peine ils peuvent me porter.
Le Français lui répond : Je plains ta destinée,
Indien malheureux ! toute la matinée,
Nous le voyons dormir ; puis Cérès et Bacchus
Satisfont à l’envi ta faim désordonnée ?
Tu digères l’après-dînée :
Ah ! si tu ne sais rien de plus,
C’est un cercle d’ennui que tu décrit l’année ;
Pour te distraire au moins le long de la journée ;
Raccourcis tes ongles crochus.
Par M. le chevalier de Cubières
(1)  Le siamois laisse croître leurs ongles : ils regardent comme un devoir de politesse de les porter longs de deux ou trois pouces.
(2)  Les ballons font des barques que les siamois construisent avec des écorces d’arbres. Un mari ne fait jamais l’honneur a sa femme de se promener avec elle dans le même ballon.
(3) Sommonokodon est la principale divinité que les siamois adorent ; ils croient que par la Métempsycose elle entre successivement dans les corps des animaux, des homme et dans les plantes.
 
 
 

La nouvelle création
Sans doute l’homme est grand, alors que son
Génie
Soumet le monde entier au compas d’Uranie ;
Lorsque d’informes blocs, jadis vils à ses yeux,
Sous son ciseau hardi, se transforment en dieux ;
Quand, sous ses doigts savant, les cordes de la lyre
Portent au fons des cœurs un sublime délire :
Mais qu’il est bien plus grand dans les bras de
L’amour !
Rival du créateur, l’homme crée à son tour.
Par M.Maréchal
  
 
 

A mademoiselle **
La lueur la plus mensongère
D’un espoir qui flatte mes vœux,
Est pour mon ardeur téméraire
Un aliment bien dangereux :
Ce font tes rigueurs que j’implore ;
Mon cœur, malgré ta cruauté,
N’aura que trop de peine encore
A conserver sa liberté.
Par M.B**