Almanach des muses 1776

Épître

A une femme de théâtre,

Qui s’avise d’être vertueuse.

Eh quoi ! de l’air de moins trompeur

Je vous dis que je vous adore !

Et de la plus rougeur

Votre front naïf se colore !

Votre bouche invite au baiser ;

Je veux, sur ses lèvres de rose

En cueillir un : mais ciel on ose

On ose me le refuser !

De la gêne un amant s’offense ;

Il a toujours mille secrets

Qu’il veut dérober au secrets

Qu’il veut dérober au silence ;

Pour vous dire les miens, exprès

Je vous demande une audience ;

Vous me l’accordez, et je pense

Que sans doute on m’écoutera :

Une suivante est toujours là,

Que l’on met de la confidence.

J’enrage, enfin, de tous mes soins,

N’aurai-je jamais le salaire ?

Peut-on dévoiler un mystère

Devant d’incommodes témoins ?

Quand, fut ce théâtre que j’aime,

Je vis, plein d’une joie extrême,

Votre âme ouverte au sentiment,

Je crus, à parler franchement,

Que partout vous étiez la même ;

Qu’à force de jouer l’amour,

Parfois vous le sentiez peut-être ;

Que puisqu’on payait de retour

Hector et Crispin tour à tour,

On pouvait bien aimer leur maître.

Mais il n’est permis qu’a Crispin

De vous embrasser sur la scène,

Et quand vous êtes seule, à peine

Vous laissez-vous baiser la main.

Même il est tel drame agréable

Où vous avez plus d’un amant

Que vous aimez éperdument :

Hors de là vous n’êtes qu’aimable.

Faut-il tout vous dire ? a vous vous

Et si réservée et si sage,

Je crois que de votre boudoir

Vous ignorez encor l’usage,

N’aimer rien est un grand abus.

Allons, ne vous défendez plus

D’approuver le feu qui m’anime ;

goûtez ces plaisirs inconnus,

et de vos gothiques vertus,

ne me tendez plus de victime.

Ah ! plutôt garde ce trésor

Que chérissaient tant nos ancêtres,

Ces mœurs, vrai bien de l’âge d’or,

Dont se moquent nos petits maître.

Pousser d’inutiles soupirs,

Fut toujours loin de leur système ;

Les insensés, dans leurs désirs,

Ignorent le charme suprême ;

Qui fait respecter ce qu’on aime,

et double encore les plaisirs.

L’amour vit de crainte et d’alarmes ;

L’amour s’accroît par la rigueur ;

L’obstacle a pour lui mille charmes :

Il est heureux par les malheurs :

Je refuserais des faveurs,

Qui n’auraient point coûté de larmes.

Par M. le chevalier de Cubieres

 

 

 

 

L’esprit qui plaît

Il est bien des genres d’esprit :

Mais celui qu’à tous on préfère,

Celui qui saura toujours plaire,

C’est le votre sans contredit :

Esprit profond dans sa finesse,

Et gracieux avec justesse,

Qui se plie à tous les sujets,

Qui, comme une glace fidèle,

Fait réfléchir tous les objets,

Et qui, par les plus doux reflets,

Leur donne une beauté nouvelle.

Un esprit vif et pétillant

M’éblouit plus qu’il ne m’attire,

Et le trait qui n’est que faillant

N’est pas trop celui que j’admire.

J’aime qu’un mot sage ou brillant

Me fasse penser ou sourire ;

Or, quand vous parlez, on sourit,

On s’égaye, on pense, on s’instruit,

On vous pardonne votre empire ;

Prés de vous enfin l’on jouit,

En vous entendant toujours dire

Ce que l’on voudrait avoir dit.

Par M. de Bonnard

 

 

 


Sur l’amour propre

De son esprit, dit-on, chacun pense trop bien ;

C’est le commun avis : pour moi, je n’en crois rien.

Notre esprit a sa conscience ;

De sa faiblesse, on ne fait point l’aveu :

Mais on le sent ; on est juste en silence.

Sur ce point délicat, (Bien qu’on en souffre un peu)

Les plus sévères yeux sont peut-être les nôtres ;

On ne se trompe point, on veut tromper les autres.

Surprendre leur estime est un larcin permis,

Et nos duper toujours sont nos meilleurs amis.

Par M. l’abbé Porquet