Almanach des muses 1765

L’amour et la folie,

Ode anacréontique.

J’avais juré d’être sage :

Mais avant peu j’en fus las ;

Ô raison ! c’est bien dommage,

Que l’ennui suit tes pas.

J’eus recours à la folie ;

Je nageai dans le plaisir :

Le temps dissipa l’orgie,

Et je perdis mes désirs.

Entr’elles je voltigeai :

L’une et l’autre se ressemblent, (1)

Et je les apprivoisai,

Pour les faire vivre en semble.

Depuis, dans cette union,

Je coule ma douce vie ;

J’ai pour femme de raison,

Pour maîtresse la folie.

Tour à tour mon goût volage

Leur partage mes désirs ;

L’une a soin de son ménage,

Et l’autre de mes plaisirs.

Par M. de Saint-Péravi.

(1)  On ne voit guère comment la sagesse et la folie peuvent se ressembler.

 

 

 

    

L’éducation d’une fille.

Mes amis, l’hiver dure, et ma plus douce étude

Est de vous raconter les faits du temps passé ;

Parlons, ce soir un peu de Madame Gertrude :

Je n’ai jamais connu de plus aimable prude ;

Par trente-six printemps sur sa tête amassée,

Ses modestes appas n’étaient point effacés.

 

Son maintien était sage, et n’avait rien de rude ;

Ses yeux étaient charmants : mais ils étaient baissés ;

Sur sa gorge d’albâtre, une gaze étendue

Avec un art différé, en permettait le vue ;

L’industrieux pinceau d’un carmin délicat,

D’un visage arrondi relevant l’incarnat,

Embellissait ses traits, sans outrer la nature ;

Moins elle avait d’apprêt : plus elle avait d’éclat ;

La simple propreté composait sa parure.

 

Toujours sur sa toilette est la sainte écritures ;

Auprès d’un pot de rouge, on voit un Massillon,

Et le petit carême est surtout sa lecture :

Mais, ce qui nous charmait dans sa dévotion,

C’est qu’elle était toujours aux femmes indulgentes ;

Gertrude était dévote, et non pas médisante.

Elle avait une fille ; Un dix avec un sept

Composait l’âge heureux de ce divin objet,

Qui, depuis son baptême, eut le nom d’Isabelle ;

Plus fraîche que sa mère ; elle était aussi belle ;

A côté de Minerve, on eût cru voir Vénus.

Gertrude à l’élever prit des foins assidus ;

Elle avait dérobée cette rose naissante

Au souffle empoisonné d’un monde dangereux ;

Les conversations, les spectacles, les jeux,

Ennemis séduisant de toute âme innocente,

Vrais piège du démon par les saints abhorrés,

étaient dans la maison des plaisirs ignorés.

Gertrude en son logis avait un oratoire,

Un boudoir de dévore, où, pour se recueillir,

Elle allait saintement occuper son loisir,

Et faisait l’oraison qu’on dit jaculatoire.

Des meubles recherchés, commodes, précieux,

Ornaient cette retraite au public inconnue ;

Un escalier secret, loin des profanes yeux.

Conduisait au jardin dans la rue.

 

Vous savez qu’en été les ardeurs du soleil

Rendent souvent les nuits aux beaux jours préférables :

La lune fait aimer ses rayons favorables ;

Les filles, en ce temps, goûtent peu le sommeil.

Isabelle inquiète, en secret agité,

Et ses dix-sept ans doucement tourmentée,

Respiait dans la nuit, sous un ombrage frais,

En ignorait l’usage, et s’étendait auprès,

Sans savoir l’admirer, regardait le nature,

Puis le levait, allait, marchait à l’aventure ;

Sans dessein, sans objet qui put l’intéresser,

Ne pensant point encore, et cherchant à penser.

Elle entendit du bruit au boudoir de sa mère :

La curiosité l’aiguillonne à l’instant ;

Elle ne soupçonnait nulle ombre de mystère ;

Cependant elle hésite ; Elle approche en tremblant,

Posant sur l’escalier une jambe en avant,

Étendant une main, portant l’autre en arrière,

Le cou tendu, l’œil fixe, et le cœur palpitant,

D’une oreille attentive avec peine écoutant.

D’abord elle entendit un tendre et doux murmure,

Des mots entrecoupés, des soupirs languissants :

Ma mère a du chagrin, dit-elle entre ses dents,

Et je dois partager les peines qu’elle endure ;

Elle approche : elle entend ces mots pleins de

Douceur :

André, mon cher André. Vous faites mon bonheur.

Isabelle à ses mots pleinement se rassure ;

Ma tendresse, dit-elle, a pris trop de souci.

Isabelle à la fin dans son lit se retire,

Ne peut fermer les yeux, se tourmente et soupire :

Andé fait des heureux ! et de quelle façon ?

Que ce talent est beau ! mais comment s’y prend-on ?

Elle revit le jour avec inquiétude ;

Son trouble fut d’abord aperçu par Gertrude ;

Isabelle était simple, et sa naïveté

Laisse parler enfin sa curiosité.

Quel est donc cet André, lui dit-elle, Madame,

Qui fait, à ce qu’on dit, le bonheur s’une femme ?

Gertrude fut confuse : elle s’aperçut bien

Qu’elle était découverte, et n’en témoigne rien :

Elle se composa, puis répondit : Ma fille,

Il faut avoir un saint pour toute une famille,

Et depuis quelque temps, j’ai choisi saint André ;

Je lui fuis très dévote, il m’en fait fort bon gré ;

Je l’invoque en secret, j’implore ses lumières ;

Il m’apparaît souvent la nuit dans mes pierre :

C’est un des plus grands saints qui soient en paradis.

 

A quelque temps de là, certain Monsieur Denis,

Jeune homme bien tourné, fut épris d’Isabelle :

Tout conspirait pour lui, Denis fut aimé d’elle,

Et plus d’un rendez-vous confirma leur amour.

Gertrude en sentinelle entendit à son tous

Les belles oraisons, les anciennes charmantes

Pressaient son tendre amant de plaisirs enivré.

 

Gertrude dès ce jour, plus sage et plus heureux

Conservant son amant et renonçant aux saints ;

Quitta le vain projet de tromper les humains ;

On ne les trompe point : la malice envieuse

Porte sur votre masque un coup d’œil pénétrant ;

On vous devine mieux que vous ne savez feindre,

Et le stérile honneur de toujours vous contrainte

Ne vaut pas le plaisir de vivre librement.

 

La charmante Isabelle, au monde présentée

Se forma, s’embellit, fut en tous lieux goûtée ;

Gertrude en sa raison rappela pour toujours

Les doux amusements, compagnons des amours ;

Les plus honnêtes gens y passèrent leur vie :

Il n’est jamais de mal en bonne compagnie

Par M. de Voltaire

Cette pièce est délicieuse ; les détails en sont parfaits. Il n’est guère possible d’écrire avec plus de pureté ni de délicatesse.

 

 

 


Couplets

Fait pour une jeune Lapone, dans un voyage au Pole.

Pour fuir l’amour,

En vain l’on court

Jusqu’au cercle polaire :

Dieux ! qui croirait

Qu’en cet endroit

On eût trouvé Cythère ?

Dans les frimas

De ces climats,

Christine nous enchante ;

Et tous les lieux

Où sont ses yeux,

Sont la zone brûlante.

L’astre du jour,

A ce jour,

Refuse sa lumière ;

Et ses attraits

Sont déformait

L’astre qui nous éclaire :

Le soleil luit :

Des jours sans nuit

Bientôt il nous dessine ;

Mais ces longs jours

Seront trop courts

Passés prés de Christinne.

Par M. de Maupertuis.

Il est vraisemblables qu’on fait peu de pareilles chansons en Laponie. 

M. deMaupertuis chantait souvent celle-ci, lorsqu’il était de belle humeur.